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Vente en ligne de médicaments : quand la cour de justice de l’union européenne oblige le conseil d’état à revenir sur sa jurisprudence


Rédigé par Me Ghislaine ISSENHUTH, Avocat au Barreau de Paris, et Me Olivier SAMYN, Associé, LMT Avocats. le Vendredi 21 Mai 2021 à 12:00 | Lu 91 fois


La vente en ligne de médicaments n’en finit décidément pas d’alimenter un contentieux dense tant au niveau national qu’au niveau européen. Le Conseil d’État a encore récemment été amené à examiner la légalité de l’arrêté du 28 novembre 2016 relatif aux règles techniques applicables aux sites internet de commerce électronique de médicaments, pour dire que l’interdiction de référencement payant de ces sites était illégale.



La décision prononcée par le Conseil d’État le 17 mars 2021 (CE, 17 mars 2021, n°440208) est intéressante à double titre. En premier lieu parce que c’est la seconde fois que la Haute juridiction a été saisie de cette question et en second lieu parce que cette décision, sans pour autant s’y référer explicitement, fait suite à l’arrêt prononcé par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) le 1er octobre 2020 (CJUE, 1er octobre 2020, C-649/18).
 

La réitération d’un contentieux ou la limite de l’autorité de la chose jugée

Le litige dont a été saisi le Conseil d’État ne lui était pas inconnu, dans la mesure où il avait déjà eu l’occasion en avril 2018 d’examiner la légalité de l’arrêté du 28 novembre 2016. En effet, un pharmacien avait engagé un recours en excès de pouvoir à l’encontre de cet arrêté pour en solliciter l’annulation. Le Conseil d’État avait alors rejeté le recours, au motif que l’interdiction du référencement payant des sites de vente en ligne de médicaments avait été adoptée sur le fondement de l’article R.5125-26 du Code de la santé publique limitant la publicité pouvant être faites en faveur des officines. Cette restriction n’était dès lors pas disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi de santé publique (CE, 4 avril 2018, n°407292).

Trois ans plus tard, le litige soumis à l’examen du Conseil d’État introduit par le même requérant, et portant sur le même acte, interroge sur la portée de l’autorité de la chose jugée. Pour mémoire, l’autorité de la chose jugée signifie que ce qui a été définitivement jugé ne peut plus être remis en cause. Elle est constituée par l’identité des parties, de l’objet et de la cause.

C’est à travers d’une conception restrictive de l’objet que le Conseil d’État a rejeté l’exception de chose jugée soulevée par le Ministère des solidarités et de la santé. Le présent litige portait sur la demande, formée par le pharmacien, de voir le Ministère abroger l’arrêté alors que le recours de 2018 tendait à son annulation. Or l’annulation a pour effet d’annuler l’acte contesté de manière rétroactive, quand l’abrogation met fin aux atteintes portées à l’ordre juridique pour le futur. Cette appréciation est pour le moins surprenante, dans la mesure où l’annulation comme l’abrogation font disparaître l’acte de l’ordonnancement juridique. Mais elle a le mérite de laisser la voie contentieuse largement ouverte créant de fait, comme le souligne Clemmy Friedrich, une « session de rattrapage »* pour les administrés.
 

L’appréciation par la CJUE de la restriction imposée par la France au commerce électronique de médicaments

L’autorisation que s’est donnée le Conseil d’État de pouvoir réexaminer la légalité de l’arrêté du 28 novembre 2016, lui a en réalité permis de revenir sur sa jurisprudence pour se conformer à celle dégagée par la CJUE en octobre 2020. En effet, celle-ci a été saisie par la Cour d’appel de Paris de la compatibilité des règles françaises encadrant la publicité des sites des pharmacies en ligne (CA Paris, 28 septembre 2018, RG n° 17/17803).

En l’espèce, une société néerlandaise de vente en ligne de médicament s’était vue assignée par une société française, à la suite d’une campagne publicitaire destinée aux consommateurs français consistant notamment à la publication d’offres promotionnelles sur son site internet. La société française estimait que ce faisant, la société néerlandaise avait commis un acte de concurrence déloyale en tirant indûment un avantage du non-respect de la règlementation française. La Cour d’appel de Paris a donc interrogé la CJUE quant à la possibilité, pour un État membre, de prévoir des règles spécifiques interdisant de solliciter la clientèle par des procédés et moyens considérés comme contraires à la dignité de la profession, ou encore d’interdire de recourir au référencement payant.

Sans revenir sur la base légale retenue par la CJUE, qui a écarté l’application de la Directive relative au médicament (Directive 2001/83) pour retenir uniquement la Directive relative au commerce électronique (Directive 2000/31), l’arrêt fleuve de la CJUE a clairement dit que : « ll s’ensuit qu’il convient de répondre à la quatrième partie de la question posée que la directive 2000/31 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à l’application, par l’État membre de destination d’un service de vente en ligne de médicaments non soumis à prescription médicale, au prestataire de ce service établi dans un autre État membre, d’une réglementation nationale interdisant à des pharmacies vendant de tels médicaments de recourir au référencement payant dans des moteurs de recherche et des comparateurs de prix, à moins qu’il ne soit dûment établi devant la juridiction de renvoi qu’une telle réglementation est apte à garantir la réalisation d’un objectif de protection de la santé publique et qu’elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour que cet objectif soit atteint ».

Loin de reprendre une argumentation identique, c’est sur le fondement de la violation du principe d’égalité que le Conseil d’État a, dans le présent litige, estimé que l’arrêté du 28 novembre 2016 devait être abrogé en ce qu’il interdit le référencement pays des sites de vente en ligne des médicaments. En effet, cette interdiction est uniquement applicable aux officines situées en France à l’exclusion des autres États membres. Si le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le pouvoir règlementaire règle de façon différente des situations différentes, la différence de traitement doit reposer sur des raisons d’intérêt général. En l’espèce, les arguments mis en avant par le Ministère tenant à l’objectif de lutte contre la surconsommation de médicaments, la répartition équilibrée des officines sur le territoire national ou la nécessité de préserver la relation de confiance entre le patient et le pharmacien, ont tous été écartés par la Haute juridiction.

Cette jurisprudence s’inscrit donc clairement dans le mouvement de libéralisation de la publicité des professions médicales.

*Clemmy Friedrich, Actes administratifs, Le refus d’abroger comme session de rattrapage après le recours en excès de pouvoir, Semaine juridique administrations et collectivités territoriales n°13, 29 mars 2021.
 
Article publié dans le numéro de mai d'Hospitalia à consulter ici






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